CACHÉE D’APRÈS LE CONTE  » LA GRUE BLANCHE « 

Ce conte traite avec une extraordinaire acuité certains sujets qui hantent notre monde et nos imaginaires. Que se passe t-il quand les hommes, dans leur rapport aux autres vivants, substituent une logique de réciprocité et de soin par une logique de production et de prédation? Au début du conte lorsque l’homme recueille et soigne la grue blessée, il montre à son égard une générosité sans calcul. À ce don, la grue répond d’abord en s’offrant à lui comme épouse après s’être métamorphosée en femme, puis en lui donnant le fruit de son travail : les voiles magiques qu‘elle sait tisser.

À partir du moment où l’homme possède à la fois la femme et ce qu’elle produit, il n’y a plus de réciprocité dans les échanges. Le mari ne fera que prendre ce que lui donne sa femme, jusqu’au point de la tuer. Par-là, ce conte est une mise en garde : quand l’avidité et la recherche de l’accumulation sans fin se substituent au cycle du don et du contre-don, qui nous a longtemps lié aux entités naturelles, alors la tragédie est inévitable. Cet aveuglement avide de l’homme sera un coup d’arrêt à la relation humaine. Ce conte cerne avec justesse les éternels ressorts de la domination masculine : enfermer les femmes dans l’espace domestique et invisibiliser leur travail. A l’époux, l’espace extérieur, les relations avec le monde et le prestige social qu’il tire du commerce des biens produits par sa femme. A l’épouse l’espace domestique, l’invisibilité et l’épuisant travail de production.